Perché sur un éperon rocheux, le Castellas jouit d'une position stratégique incomparable. Non seulement il contrôlait l'un des principaux passages entre la basse vallée de la Durance et le sud des Alpilles avec une vue qui s'étend, sur l'axe nord-sud, du Mont Ventoux à la Méditerranée, mais il disposait d'un site défensif naturel de grande qualité puisque le château est entouré sur les trois côtés par des falaises. C'est à la fin du XIº siècle qu'apparaît Roquemartine. Raimond et ses frères Gérald et Pons, voulant partir pour la première croisade, vendent leur part de dîme sur le "Castrum de Roca Martina" avec le consentement de leurs seigneurs Aichard et Geoffroy Gérald de Brignoles. La vente s'effectue par l'intermédiaire de Guillaume prêtre de Mazaugues (Var, arr. de Brignoles) au profit de l'abbaye Saint-Victor-de-Marseille. Ce texte est très important puisqu'il révèle l'existence d'un castrum à Roquemartine et d'une église Sainte-Marie située "in territorio ipsius castri, prope moenia", confirmant ainsi qu'il existait à Roquemartine, à la fin du XIº siècle, une fortification en dur près de laquelle se trouvait placée l'église.
Les premiers seigneurs de Roquemartine
L'histoire de Roquemartine reste obscure au début du XIIº siècle. Par confirmation d'Hugues Sacristain de Porcelets au commandeur de Trinquetaille en 1190, nous apprenons que Raimond Carel avait échangé son domaine de Roquemartine avec Hugues Sacristain 1er de Porcelets, père d'Hugues, avant 1162. L'installation des Porcelets, une des prestigieuses maisons de Provence, à Roquemartine peut remonter au moins au milieu du XIIº siècle. Lors des guerres baussenques, les Sacristains avaient pris le parti des comtes catalans, qui avaient besoin d'une protection entre leurs domaines de Tarascon, Albaron, Orgon et ceux d'Aix, Brignoles et Seyne. Les Sacristain possédant Sénas et le comte ayant Eyguières, un petit réseau de forteresses faisaient face à l'ouest aux Baux et à l'est à Peire de Lambesc, allié des Baux. Les Sacristain vont rester à Roquemartine jusqu'au début du XIIIº siècle. Le castrum va passer dans la dot de Porceleta, fille de Hugues Sacristain, lors de son mariage avec Peire de Lambesc. Elle transmet en 1221 la seigneurie à ses enfants. Mais un événement important changeait le cours de l'histoire et devait rendre sans suite le testament de Porceleta.
Destruction et renaissance du château
En juin 1222 les armées du comte de Provence Raimond Bérenger V détruisent de fond en comble les châteaux de Roquemartine et de Lambesc. Raimond Bérenger V est alors en pleine reconquête de son comté. Après avoir passé sa minorité prisonnier en Aragon, il est ramené en Provence en 1216 par un groupe de chevaliers, avec à leur tête Pierre Augier. En 1221 ce dernier reçoit la terre d'Eyguières en fief. C'est aussi à cette époque que Raimond Bérenger se débarrasse de Guillaume de Sabran et resserre les liens avec Forcalquier. Sa politique de reconquête de la Provence le conduit à installer des fidèles dans des fortifications qui ont une importance pour sa stratégie. Il en est ainsi pour Pierre Augier et peut-être pour Albe ou Albeta de Tarascon qui se voit confirmer, le 28 décembre 1237, des droits sur son château de Roquemartine. Albe était un chevalier de Tarascon dont la famille d'origine n'est pas connue.
Le nom d'Albe apparaît pour la première fois en 1203, mais il s'agit peut-être de son père. Albeta est simple témoin dans des actes comtaux à partir de 1218-1219 puis il suit le Comte dans ses déplacements. Il est ainsi dans la région de Grasse et de Vence en 1222. La même année, il est baile de la baillie d'Outre-Siagne, où il a le pouvoir de déléguer un juge pour rendre des sentences. On le retrouve ainsi près de quarante fois dans les actes comtaux publiés par Fernand Benoît. « Il est, parmi les conseillers et tous ceux qui ont appartenu à la cour comtale dès le début du règne de Raimond Bérenger, l'un des seuls, avec Guillaume de Cotignac et Romée de Villeneuve à être encore présent en 1245 auprès du Comte ».
Il joue tour à tour le rôle de conseiller, de médiateur, d'ambassadeur auprès du roi d'Aragon en 1231 et de tuteur de la quatrième fille de Raimond Bérenger. Il prête parfois de l'argent au comte. Albe meurt en 1258 ou 1259, laissant une veuve, Laudune et trois enfants Bertrand, Charles et Laudune.
Jamais les descendants d'Albe ne retrouveront une position aussi favorable que la sienne. Dès la fin du XIIIº siècle et durant le XIVº siècle, des difficultés juridiques et économiques surgissent. Le péage de Roquemartine fut l'objet de contestations avec les habitants d'Orgon entre 1260 et 1355. En 1221, ce péage institué au profit d'Albe de Tarascon, bénéficiant de sa position privilégiée auprès de Raimond Bérenger V, semble limité à Roquemartine. Il existe alors d'autres péages voisins, à Eyguières ( pour le comte), à Sénas et à la Bastide (pour les Porcelet) et à Orgon (pour partie au comte).
En 1354-1355 les limites du péage sont bien définies : il s'étend sur du bac de Gomard sur la Durance (près de l'abbaye de Silvacane) au défilé de Peire-Male entre Glanum et les Baux, en incluant le péage d'Orgon et une partie de son bac sur la Durance. Ainsi, ce péage contrôle toute la circulation nord-sud dans la basse vallée de la Durance entre Avignon et Aix-Marseille, d'une part et entre les régions d'Apt-Carpentras et Aix d'autre part. Un tel péage devait procurer à son possesseur des revenus considérables qui lui permirent de réaliser un ensemble architectural sans comparaison pour l'époque.
Evénement historique d'importance, la prise du castellas par Etienne Augier dit Ferragut avec sa bande de Tuchins en 1384. Ceux-ci menacent Arles à plusieurs reprises. Après eux, Raimond Roger, vicomte de Turenne occupe le château. Il vient d'entrer en conflit avec le pape Clément VII et la reine Marie de Blois. Une guerre longue et ruineuse s'engage. Marie de Blois réussit à faire occuper les places de Raimond de Turenne en juillet 1390, à l'exception des Baux. Lors des Etats réunis à Aix en juillet 1391, le comte de Provence restitue à Raimond de Turenne les places qu'il occupait avec une forte indemnité, contre la promesse que cette dernière cesse toute hostilité et licencie ses troupes. Mais avant fin 1392 les hostilités reprennent. Les sièges se succèdent à Roquemartine et aux Baux, sans grands succès, malgré l'emploi de machines de jet et la levée de troupes importantes. En 1399, Jean le Meingre dit Boucicaut, maréchal de France, gendre de Raimond de Turenne, s'allie à Marie de Blois et à Louis II et libère, en achetant les défenseurs, les places des Baux et de Roquemartine. Le castellas est rendu aux Albe qui en étaient privés depuis 1384.
Le donjon constitue l'œuvre maîtresse du château. Il occupe la partie sommitale du rocher et ses fondations en suivent le dénivelé. Sa forme primitive est un quadrilatère presque régulier d'environ 20 m de côté, avec une tour quadrangulaire demi-hors-œuvre sur l'angle nord-est. La hauteur maximale est de 18,00 m au pied de l'angle nord-est, hauteur vraisemblablement réduite par la dégradation des parties supérieures. Ainsi l'édifice s'apparente à un cube de 20,00 m de côté. Le bâtiment a été entièrement réalisé en moyen appareil.
Seuls quelques vestiges peuvent être attribués au XIIº siècle ou au début du XIIIº siècle (enceintes, citerne et mur est du donjon). La seconde phase est représentée par la construction du donjon. Celui -ci par sa forme massive s'apparente aux donjons quadrangulaires du XIIº siècle, fréquents dans le nord et le sud-ouest de la France. Il s'en distingue pourtant par de nombreux détails. A l'extérieur, la construction n'est pas assise sur une base horizontale, elle épouse la forme du rocher qui n'a pas subi de grands aménagements. Ainsi l'angle sud-ouest n'a que 9 m d'élévation alors que l'angle nord-est atteint 18 m. L'utilisation de l'appareil en bossage tabulaire est assez exceptionnelle, bien qu'il ne soit pas rare en Provence. Ce type de bossage n'a pas qu'une fonction esthétique, il donne au mur une plasticité et un modelé que ne procure pas le parement lisse, et renforce l'impression de puissance. Si le bossage rustique est considéré comme un gain de temps car il économise la taille d'une face, il n'en est plus de même pour le bossage en table qui demande un surcroît de travail, donc un coût plus élevé.
Le castellas de Roquemartine s'inscrit dans un territoire riche d'histoire et de vestiges archéologiques. Son évolution fait partie de l'histoire de la Provence où il joue un rôle assez important, comme son plus illustre seigneur Albeta de Tarascon pendant tout le second quart du XIIIº siècle. Raimond Bérenger V. comme ces prédécesseurs, avait su s'appuyer sur les chevaliers urbains provençaux. Nombre d'entre eux furent récompensés pour leurs services, certains purent édifier des châteaux, comme le Castellas de Roquemartine, qui est un jalon important dans la compréhension de la construction militaire au XIIIe siècle en Provence. Sous la forme archaïque du donjon massif et aveugle, il présente des traits originaux : cour intérieure, utilisation systématique du bossage, et des ressemblances avec des édifices de Terre-Sainte ou d'Italie, mais aussi avec des constructions religieuses comme les abbayes cisterciennes et plus particulièrement celle de Silvacane.
Albeta de Tarascon, illustre conseiller du comte de Provence, Raimond Bérenger V
L'importance du péage de Roquemartine
Source : extraits de l'étude historique et architecturale approfondie réalisée par monsieur Jean Paul NIBODEAU et publiée dans le fascicule 169 de la PROVENCE HISTORIQUE en 1992. Auparavant un article avait été publié par Monsieur Henri-Paul EYDOUX dans la revue Monuments méconnus en 1979.
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